Texte publié dans Science, Technology and Political Change. Proceedings of the XXth International Congress of History of Science (Liège, 20-26 July 1997), Volume I, sous la direction de D. Hoffmann, B. Severyns et R.G. Stokes, Brepols, Turnhout, 1999, pp. 67-80 (version sans les notes de bas de page).
Jérôme Segal
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L’introduction de la cybernétique en R.D.A.
rencontres avec l’idéologie marxiste
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Cadre d’étude, approches et méthodes
1. Contexte de naissance de la cybernétique et de la théorie de l'information
2. La cybernétique " contamine " l’Est (1948-1961)
La cybernétique en URSS
La cybernétique en RDA
3. Controverses en RDA sur la cybernétique ? (1961-62)
4. Enthousiasme, " perversion " et " normalisation " (1963-1969)
Premières conclusions et ouvertures
Annexe 1 : courte biographie de Georg Klaus (28.12.1912 - 29.7.1974)
Annexe 2 : Représentations graphiques
Annexe 3 : Bibliographie et autres sources
Ecrits de Georg Klaus ayant trait à la cybernétique
Autres écrits sur la cybernétique parus en RDA
Autres sources imprimées
Archives
Entretiens enregistrés
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Jusqu'à la fin des années 50, une théorie scientifique a été désignée à l’Est sous des appellations aussi diverses que " pseudo-science ", " science bourgeoise " ou " épidémie ". Il s’agit d’une théorie générale du contrôle et de la communication, connue sous le nom de " cybernétique ", à laquelle se référent explicitement N. Khrouchtchev et W. Ulbricht aux congrès de leurs partis respectifs, en 1961 et 1963. Dans ces deux discours, en revanche, la cybernétique apparaît alors comme une théorie à promouvoir.
Une étude historique, d’abord sur le contexte de naissance de la cybernétique mais surtout sur son développement et son établissement en RDA nous permet ici de proposer des explications de cet étonnant intérêt du Politique pour une " simple théorie scientifique ". Il apparaît alors qu’une analyse des controverses liées à l’introduction de la cybernétique en RDA, à l’aide de différents documents d’archives et entretiens, nous renseigne sur divers aspects de l’Histoire de la RDA : l’histoire des sciences bien sûr mais aussi l’histoire économique et politique du pays. Le suivi de certaines biographies comme celle de Georg Klaus (1912-1974), philosophe fortement engagé dans l’introduction de cette théorie dans son pays, permet aussi une nouvelle approche pour l’étude des liens entre science et idéologie.
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Cadre d’étude, approches et méthodes
Il se constitue aux Etats-Unis à la fin des années 40 une discipline scientifique qui trouvera rapidement des applications dans plusieurs domaines. Cette discipline - bien que le mot soit ici sans doute mal approprié - était connue sous le nom de " cybernétique ". A partir du concept d’information, mathématiquement défini, cette théorie générale du contrôle et de la communication a initié une certaine tentative d’unification du savoir dont l’histoire tant de la genèse que de l’application fait l’objet d’une thèse de doctorat en cours.
Une analyse minutieuse de diverses revues scientifiques ainsi que de documents d’archives permet de montrer quelles sont les origines mathématiques, physiques et techniques de ces notions et apporte ainsi une meilleure compréhension de l’importance actuellement accordée à la notion d’information dans notre " société de communication " ou " cybersociety ". Il s’agit alors dans ce cadre d’aborder sous un nouvel angle les rapports entre mathématique, physique et technique, à travers par exemple une étude sur le rôle de l’ingénieur dans les années 40 et les relations entre science et société.
Dans une certaine mesure, les rapports entre science et idéologie sont dès le début constitutifs de cette étude, ne serait-ce que parce que la cybernétique et la théorie de l'information sont liées à des progrès techniques décisifs issus des recherches de la seconde guerre mondiale. Une théorie qui, comme la théorie de l'information " conquiert " plusieurs autres parties du savoir, s’inscrit dans un réseau de différentes théories scientifiques qui s’appuie sur l’existence de structures matérielles, liées à l’organisation de la communauté scientifique et aux décisions politiques qui la concernent, plaçant finalement cette théorie au centre de la conception qu’on peut se faire de la société.
L’histoire de l’Internet, qui en tant qu’application du mode de pensée cybernétique trouve également sa place dans cette " archéologie " de la notion d’information, pourrait également être abordée comme une rencontre avec une idéologie. S’il s’agit ici de l’introduction de la cybernétique en RDA, c’est simplement parce que - pour parler encore avec Foucault - les différentes conditions de possibilité du discours se laissent mieux appréhender dans un Etat hautement centralisé. De plus, on trouve en RDA grâce à l’aspect dictatorial du système politique la volonté de promouvoir une application " totale " de la cybernétique dans le pays. Une étude des différentes institutions ainsi que le dépouillement systématique de quelques revues dans lesquelles les controverses évoquées par les témoins de l’époque interviewés se retrouvent facilement, permettent de nouvelles recherches sur l’histoire de la réception d’une théorie scientifique qui, d’un côté mêle à la fois histoire des sciences, histoire des institutions mais aussi histoire politique et économique et, d’un autre côté, apparaît comme représentative pour une histoire générale de la cybernétique et de la théorie de l'information. L’histoire de l’introduction de la cybernétique en RDA doit alors être considérée comme un cas d’étude de cette approche plus générale.
Puisqu’il s’agit d’abord de l’histoire de la réception d’une théorie scientifique, nous nous intéresserons d’abord au contexte de naissance de ces théories avant de pouvoir différencier trois grandes étapes dans l’introduction de celles-ci en Allemagne de l’Est : la " contamination " du Bloc de l’Est par une science bourgeoise (1948-1961), l’établissement officiel de ces théories, cette fois en tant que " confirmation du matérialisme dialectique " (1961-1963) et enfin la période de perversion et de normalisation (1963-1971).
1. Contexte de naissance de la cybernétique et de la théorie de l'information
Afin de mieux comprendre quels sont les aspects de la cybernétique qui ont été repris par les scientifiques est-allemands, mais aussi pour montrer comment la cybernétique était déjà idéologiquement marquée lors de son développement, nous nous proposons de revenir brièvement sur l’histoire de cette théorie. Il est à ce titre significatif de remarquer que le père de la cybernétique aux Etats-Unis, le mathématicien Norbert Wiener (1894-1964) écrivait déjà dans son livre programmatique : " The deciding factor in this new step was the war ". Il se rapportait à ses recherches menées dans les années 1940/1941, avant même l’entrée en guerre des Etats-Unis, sur l’amélioration des machines de DCA. Claude Shannon (né en 1916), père de la théorie de la communication en 1948, travaillait pendant ce temps dans le domaine de la cryptologie dans un groupe de travail du National Defense Research Committee. C’est dans ce cadre qu’il rédige en 1945 " A mathematical theory of cryptography ", document qui restera classé secret pendant 12 ans et qui contient déjà tous les éléments de la théorie de la communication à venir.
Il ne s’agit toutefois pas d’une simple histoire de scientifiques. La cybernétique vit également le jour grâce à une constellation déterminante d’instituts de recherche, de fondations et autres institutions nationales. Les dix ‘Macy Conferences’ (d’après le nom éponyme de la fondation) étaient par exemple dès 1946 l’occasion d’aborder ensemble différentes avancées théoriques ou techniques, sous le titre-bannière " The Feedback Mechanisms and Circular Causal Systems in Biology and the Social Sciences ". On peut citer ici la théorie de la prédiction dans le domaine des mathématiques, le modèle d’un neurone selon Pitts et McCulloch en biologie mais aussi les théories des sociologues Bateson et Mead qui participaient dès le début aux conférences en question.
Deux écrits importants sortent dans ce contexte : Cybernetics de Norbert Wiener et " A mathematical Theory of Communication " de Shannon, texte que nous n’aborderons pas ici en détail. Le lecteur intéressé pourra se reporter aux ouvrages de Dupuy, Hagemeyer, Heims, Galison ou Edwards. Pour simplifier, on peut dire que le livre de Wiener apporte surtout des considérations générales mais originales sur les systèmes de régulation et qu’en plus d’une définition quantitative de la notion d’information en rapport avec la notion d’entropie, la publication de Shannon propose la modélisation suivante d’une communication :
(Shannon [48] p. 381)
Quelques mois après sa première parution dans deux numéros du Bell System Technical Journal, la publication de Shannon est rééditée sous forme de livre avec le titre " The mathematical Theory of Communication ". L’enthousiasme de la communauté scientifique est impressionnant, entre autres suite à l’utilisation dans ces ouvrages de mots comme ‘entropie’ ou ‘Cybernetics’. En ce qui concerne les rapports à la technique, ces théories se situent entre science fondamentale et appliquée, arrivant à point nommé pour étayer les théories de l’automatisation. En tant que moyen de légitimation d’un champ disciplinaire ou comme seul instrument de pensée - avec les enjeux politiques qui y sont liés -, la cybernétique représente assurément une certaine rupture dans l’histoire des techniques au regard d’une certaine continuité pour ce qui a trait aux processus de régulation (depuis les moulins à vent de la moitié du XVIIIème siècle, brevetés à la fin des années 1780 et les régulations par force centrifuge sur les premières machines à vapeur). La cybernétique sort en quelque sorte les techniques liées à l’automatisation des différents ateliers pour les rapprocher du modèle d’une " Big Science ".
Ainsi, en tant que théorie générale, la cybernétique est déjà liée dès la fin des années 40 à des enjeux politiques. La théorie de la communication, présentée originellement sous la forme d’une théorie mathématique, devient alors une partie de la cybernétique, sous le nom de théorie de l'information.
2. La cybernétique " contamine " l’Est (1948-1961)
La première trace que l’on retrouve de la cybernétique en RDA est la traduction d’un article paru un mois plus tôt en URSS (en avril 1952), intitulé " cybernétique, ‘science’ des obscurantistes ". Il apparaît alors logique de s’intéresser dans un premier temps à l’introduction de cette théorie dans le ‘pays frère’.
La première question qui se pose est de savoir s’il n’y avait pas en URSS de théorie analogue à la cybernétique. Dans ce cadre nous pouvons nous reporter au rapport Kovalenkow rédigé au début de l’année 1946. Il s’agit d’une prise de position en faveur de l’automatisation de l’industrie, telle qu’elle est prévue dans le plan quinquennal 1946-1950. D’après ce que rapporte Bergier à ce sujet il s’agit toutefois d’un plan pour l’automatisation et non pas d’une théorie. Ce dernier note d’ailleurs dans la revue marxiste Les Lettres françaises:
" L’automatisation des industries d’un grand pays suivant un plan ordonné, préconçu, rationnel et dans le cadre d’un programme général de reconstruction exige donc une liaison entre la science pure et les techniques, comme on n’en avait encore jamais fait." (nous soulignons, Bergier [1948] p. 7)
Le besoin d’une théorie générale semblait déjà se faire sentir, comme nous avons déjà d’ailleurs pu le voir dans les travaux d’Hermann Schmidt de 1941. Il y avait toutefois déjà d’importantes réalisations dans le domaine de l’automatisme, par exemple à l’Institut pour l’automatisation et les télécommandes de l’Académie des Sciences. C. Bissell présentait l’été dernier à la SHOT-Conference une communication sur " Aleksandr Andronov and the development of the Soviet School of post-war control engineering " dans laquelle il montrait l’importance de cet institut pour les recherches théoriques. Il rapportait aussi comment cet institut était désigné, en tant qu’institut pour " science bourgeoise ", principalement à cause des nouvelles méthodes employées (modèles non causals etc.) qui laissaient planer le soupçon d’idéalisme scientifique.
C’est dans ce contexte que les savants soviétiques ont pu entendre parler de la cybernétique américaine. S. Gerovitch intervenait à la conférence précédemment évoquée au sujet de la " campagne " menée contre la cybernétique en URSS.. Il semble qu’il y ait eu une volonté politique de critiquer systématiquement les théories " impérialistes " et éventuellement de créer un institut à cet effet. A partir de 1952 toute une série d’articles paraît dans diverses revues spécialisées de sciences humaines, dénonçant la cybernétique comme " pseudo-science " etc. Le premier article de la série est celui qui est traduit et publié en RDA. Au vu de l’ensemble de ces écrits, ainsi qu’à l’aide des quelques revues marxistes du début des années 50 que nous avons dépouillées, on peut distinguer trois types d’explications à cette attitude plus que réservée des scientifiques soviétiques :
Il s’agissait d’abord d’une théorie née aux Etats-Unis et par conséquent presque condamnée d’avance en ces années de guerre froide. L’automatisation qui y était rattachée rappelait trop certains aspects du taylorisme et s’opposait à l’automatisation vue par les soviétiques, à savoir comme moyen de libérer l’ouvrier pour lui rendre possible un travail plus créatif. Dans ce cadre, la définition même du travail à partir de la théorie de l'information (d’où seront issues des notions comme celle de capital humain) aurait pu pour le moins relativiser l’importance des rapports de classe et se serait heurtée à la variante soviétique du marxisme.
Deuxièmement, du point de vue des présupposés philosophiques, la cybernétique comportait des conceptions idéalistes liées au rôle prépondérant accordé au raisonnement analogique qui allaient à l’encontre du matérialisme dialectique. Le fait que Wiener déclare s’intéresser aussi bien aux êtres vivants qu’aux machines le voyait tout au mieux étiqueté sous la rubrique " matérialiste mécaniste ", ce qui était déjà un cas de révisionnisme. L’environnement qui entoure le système étudié était de plus supposé indéterministe - les systèmes de régulations permettant de conserver la stabilité - et ceci choquait également les conceptions classiques alors en cours du marxisme. Rappelons ici si besoin est que les théories d’Einstein sur la relativité étaient encore remises en cause et que l’hebdomadaire marxiste Les Lettres françaises titrait en première page le 18 juin 1953 sur la " conversion " de Louis de Broglie aux conceptions déterministes de la physique atomique. Dans ce cadre les phrases de Wiener dans Cybernetics, " Information is information, neither matter nor energy. No materialism which does not take this into account can survive the present day " représentaient un " défi " pour les philosophes marxistes de RDA.
Enfin, la cybernétique représentait un certain danger pour quelques disciplines : en économie la cybernétique pouvait justifier avec la théorie des systèmes autorégulés le système capitaliste, tel qu’il était vulgarisé dans des règles comme " l’offre et la demande déterminent le marché ". En 1952 la revue Scientific American avait déjà présenté (justifié ?) le schéma de Keynes de l’économie à l’aide des représentations cybernétiques. En physiologie la cybernétique se présentait en opposition au schéma du réflexe selon Pavlov, puisque ce dernier ne s’intéressait pas aux phénomènes de rétrocontrôles. Au mieux, certains scientifiques considéraient la cybernétique comme une simple technique, refusant sa prétention universelle.
Il apparaît toutefois que le Parti Communiste Soviétique ne se soit pas engagé directement contre la cybernétique et que ce soit plutôt les représentants des sciences humaines qui aient constitué le gros des troupes anti-cybernétiques. Les revues dans laquelle cette campagne est menée l’attestent (on ne trouve par exemple rien dans la Pravda). Il y a dans cette première moitié des années 50 un certain fossé entre les prises de positions politiques en sciences humaines et le travail mené par les scientifiques. D’un côté ces derniers ont eu la possibilité de travailler sur des sujets inclus dans la cybernétique, mais sans utiliser le mot et souvent en partant de la théorie mathématique de la communication de Shannon. Les publications de l’ingénieur américain ont d’ailleurs été traduites et éditées en russe en 1953 mais sous le titre " Théorie statistique de la transmission de signaux électriques " et les traducteurs ont réussi le tour de force de ne pas employer les mots " information ", " entropie " ou même " mathématique ". D’un autre côté la cybernétique était toujours péjorativement dénommée dans les sciences humaines. Le célèbre Petit dictionnaire de philosophie comportait ainsi jusqu’en 1955 un article très critique sur la cybernétique.
La situation est toute autre, après 1954-55, lorsque le célèbre mathématicien A. Kolmogorow ainsi que A. Khintchin concentrent leurs activités sur la théorie de l'information, vue comme une partie du calcul des probabilités, avec une approche exclusivement scientifique et loin de toutes applications en dehors des sciences dites exactes. Ainsi Kolmogorov peut venir en 1956 au MIT, et les deux articles de Khinchin de 1953 et 1956 sont édités en même temps aux Etats-Unis et en RDA en 1957. La réhabilitation de la cybernétique est passée par là.
Là encore on peut distinguer trois raisons pour ce changement d’attitude. Wiener n’était plus considéré comme un " scientifique impérialiste ", suite à ses écrits très critiques sur la société américaine, notamment la deuxième édition de The Human Use of Human Being où il s’en prend au maccarthysme. Il avait de plus reconnu l’importance des travaux de Kolmogorov et militait contre l’utilisation de l’arme atomique. Avec la cybernétique il entendait développer de nouvelles prothèses et créer des procédés de traduction automatique. Son amitié avec le généticien britannique marxiste J.B.S. Haldane était également parfois mentionnée.
Deuxièmement, la cybernétique était devenue nécessaire pour les militaires et Gerovitch rappelle l’importance du rapport secret rédigé par le vice-amiral Aksel Berg. Enfin, dans le domaine public, c’est sans aucun doute l’exposé fait par Arnost Kolman le 19.11.1954 devant l’Académie des sciences sociales du comité central du parti communiste soviétique qui marque ce changement d’attitude de la part de la communauté scientifique soviétique. Son intervention a pour titre " qu’est-ce que la cybernétique ? " et sera publiée une première fois en RDA quelques mois plus tard (d’abord dans Forum, revue destinée au départ aux jeunes et plutôt progressiste aux dires des témoins interviewés), puis dans la revue marxiste française La Pensée et également aux Etats-Unis dans Behavioral Science.
Dans un article paru en 1966, M.A. Arbib retrace brièvement l’histoire de l’introduction de la cybernétique en URSS. Notons seulement encore ici la parution du premier livre à grande diffusion sur la cybernétique, même s’il est discrètement intitulé Signal (Poletajev [58]). Il sera édité en RDA avec le titre " Kybernetik " en 1962. Comme le note H. Kindler, on assista à partir de ce moment là à une avalanche de titres et publications sur la cybernétique " comme des champignons qui sortent de terre " - sans doute des champignons qui avaient raté quelques automnes pourrait-on rajouter. Qu’en était-il en RDA ?
L’histoire de la cybernétique en RDA, telle qu’on peut l’aborder grâce aux documents d’archives et entretiens est pour nous plus " dense " et ne se laisse pas schématiser par de simples relations causales. Si la période de rejet de la cybernétique est fortement calquée sur l’attitude des scientifiques soviétiques, son introduction en des termes plus positifs résulte de diverses influences, soviétiques d’une part avec entre autres la publication de l’exposé de Kolman, mais aussi d’autre part avec la recension des livres et publications sortis à l’Ouest. De plus on assiste à un changement au niveau des revues. On trouve à partir de 1958 très peu d’articles soviétiques et les allemands de l’Est investissent des revues comme Einheit, éditée par le comité central et surtout la revue mensuelle Deutsche Zeitschrift für Philosophie (près de 90 titres entre 1960 et 1971).
Ainsi la première mention de la cybernétique trouvée dans cette revue figure dans la recension par H. Fortner du livre de L. Couffignal, Les machines à penser. Fortner fait allusion à " un domaine qui est considéré dans certains pays comme une branche de la science [Wissenschaftszweig] : la "cybernétique". " Les Allemands de l’Est n’étaient pas seulement tournés vers ce qui se passait à l’Est et c’est ce qui fait une des spécificités de l’histoire de la réception de la cybernétique dans ce pays. Comme le confie K.-D. Wüstneck, il était par exemple tout à fait possible pour un membre de l’Academie d’obtenir de la littérature étrangère occidentale, même si cela supposait de payer en devises.
Selon tous les témoins interrogés jusqu'à présent, c’est un philosophe qui joue le rôle prépondérant dans l’introduction de la cybernétique en RDA. Georg Klaus (1912-1974) a une biographie si riche que nous avons préféré la résumer en annexe et n’aborder ici que quelques points liés à son engagement en faveur des théories cybernétiques. Issu d’un milieu modeste (père cheminot et mère femme de ménage), Klaus put bénéficier d’un soutien exceptionnel de la ville de Nuremberg en raison des facilités dont il faisait preuve à l’école. Il commence à étudier les mathématiques à l’université d’Erlangen et ses activités politiques (direction du parti communiste en Bavière du nord) le font condamner par les nazis en 1933. Après différents internements il finit par être déporté à Dachau et survit sur le plan intellectuel grâce aux parties d’échec qu’il fait à l’aveugle, comme le héros du Joueur d’échec de S. Zweig. Il semble que ce soit cette expérience qui l’ait amené après-guerre à se tourner vers la logique formelle, autre science " bourgeoise " quelques années plus tôt.
Poursuivant ses activités politiques Klaus obtient en 1948 le titre de Docteur en pédagogie avec une thèse sur " La relation d’isomorphie dans la théorie de la connaissance " soutenue à l’Université d’Iena. Après son habilitation en philosophie il devient doyen du département et occupe en 1953 la chaire de logique de l’Université Humboldt de Berlin. Il est à noter ici qu’il fait partie des quelques grands professeurs qui n’ont pas séjourné en URSS et qui ne parlent pas du tout russe. C’est toutefois lui qui fera publier dans Forum l’exposé de Kolman tandis qu’un de ses deux proches élèves, Rainer Thiel (né en 1930), estime que Klaus a dû lire le livre de Wiener en 1952 (il lisait parfaitement le français et l’anglais, comme l’atteste une copie de ses notes sur le livre d’Asbhy). A propos de l’édition du texte de Kolman, H. Drischel écrit dès 1963 : " ainsi la glace fut brisée ".
Le premier véritable texte sur la cybernétique est celui correspondant à une communication donnée par Klaus en 1957 et sorti sous forme de livre, Cerveau électronique contre cerveau humain ? (sur les problèmes philosophiques et sociaux de la cybernétique). Comme le fait remarquer H. Liebscher (le second à faire une thèse avec Klaus), cet exposé au " Deuxième congrès de la société pour la diffusion des connaissances scientifiques " est l’occasion pour le philosophe de se prononcer à la fois " contre une vulgarisation matérialiste mécaniste de la cybernétique et contre le refus des pseudo matérialistes dialectiques. " La cybernétique est ici présentée comme une théorie des nouveaux calculateurs et comme dans l’exposé de Kolman, son importance est comparée à celle de l’énergie atomique.
Un point important dans l’introduction de la cybernétique en RDA est le premier article paru en 1958 dans la revue Einheit, très liée au pouvoir politique. Après cet article la cybernétique est déjà officieusement acceptée. Dans son article intitulé " Au sujet de quelques problèmes liés à la cybernétique ", Klaus développe une véritable stratégie pour convaincre les " camarades " de la revue. Ce n’est qu’après sept pages sur Marx et l’URSS que le mot cybernétique apparaît, dans le cadre de la question concernant la possibilité pour une machine de " penser ". Il rappelle ainsi que sans l’ENIAC les américains n’auraient pas pu disposer de bombe atomique et ses exemples sont loin d’être choisis au hasard lorsqu’il compare différentes machines : ENIAC 250 multiplications par seconde, le BESK à Stockhom 3000 et enfin le BESM de Moscou 8 000 ! De plus il utilise l’effet-Spoutnik avant d’introduire le mot cybernétique. Pas de Spoutnik sans calculateurs ! Il précise de plus que ces nouvelles machines sont caractéristiques de la " révolution scientifique et technique alors en marche dans le Bloc de l’Est ". A nouveau au sujet de l’expression " machines pensante ", il écrit que de nouveaux arguments apparaissent dans le débat avec " une nouvelle théorie mathématique connue sous le nom de théorie de l'information ". Il propose d’ailleurs au lecteur une reproduction du schéma de base d’une communication selon Shannon (toutefois sans prendre en compte le bruit) et rajoute : " La théorie de l'information montre seulement que l’on peut définir mathématiquement la notion d’information. Il y a une analogie saisissante avec la thermodynamique. Le contenu informationnel se trouve formellement égal à l’entropie." On retrouve ici l’approche informationnelle de la cybernétique de Kolmogorov ou de Khinchin. C’est à partir de ce moment là que dans la troisième partie de sa publication il écrit que " l’analogie entre homme, animal et machine conduit à la création du concept de cybernétique. "
Un article dans Einheit ne suffisait toutefois pas à vaincre toute résistance et légitimer la cybernétique. On retrouve encore au début des années 60 de sévères critiques de la cybernétique, surtout de la part d’autres philosophes mais aussi de scientifiques qui ne voulaient pas être mêlés à ces questions philosophiques et craignaient sans doute un décloisonnement des disciplines déjà fortement institutionnalisées. A l’Académie des Sciences par exemple des témoins rapportent que le physicien R. Rompe s’exprimait clairement contre la cybernétique tout comme S.M. Rapoport en biologie. Se remémorant cette période, R. Thiel estime aujourd’hui que les scientifiques est-allemands n’étaient pas encore prêts pour un changement de paradigme tel qu’il peut être défini dans le modèle de T.S. Kuhn, changement qui serait occasionné par une théorie transdisciplinaire comme la cybernétique.
3. Controverses en RDA sur la cybernétique ? (1961-62)
Pourquoi cette interrogation ? S’il y a bien eu des débats et conflits entre institutions ou scientifiques, ceux-ci ne sont que très peu apparents dans les revues ou monographies. A partir du moment où il devient clair que la cybernétique est officiellement encouragée, seuls quelques scientifiques osent encore remettre celle-ci en cause. De plus, des problèmes de personnes viennent se greffer sur ces polémiques. Le philosophe Hermann Ley étant par exemple un ennemi irréductible de Klaus, celui-ci s’oppose systématiquement à la cybernétique. On peut toutefois distinguer cinq types d’arguments différentes dans l’adoption progressive des théories cybernétiques : le rôle de Khrouchtchev, le travail fourni par Klaus, la situation politique, l’importance de la littérature étrangère et enfin les différents succès techniques plus ou moins liés à la cybernétique.
Dans le cadre de l’automatisation, Khrouchtchev avait déjà appelé en 1956, lors du 20ème Congrès, à son application impérative dans l’industrie, créant d’ailleurs à cet effet un " Ministère pour l’automation ". C’est cependant en 1961 lors du 22ème Congrès que la cybernétique est explicitement mentionnée : " Il est impératif d’organiser de larges applications de la cybernétique, du calcul électronique et du contrôle des installations dans la production, la recherche, la conception et le design, la planification, la comptabilité, les statistiques et la gestion. " Ces propos de Khrouchtchev sont aussitôt mis en application en RDA, un mois plus tard, en novembre 1961, lors du 14ème Plenum du Comité Central du SED. La question à l’ordre du jour est la conception de la science comme moyen d’aide directe pour l’amélioration de la production et surtout de la productivité. La cybernétique prend alors une place de premier plan dans la révision des objectifs du plan septennal 1959-1965.
Là encore si la politique scientifique de la RDA est en partie déterminée par les événements soviétiques, elle possède aussi une dynamique propre qu’il convient de ne pas négliger. Klaus avait déjà organisé en avril 1961 une journée d’information [wissenschaftliche Beratung] de la revue Einheit sur le thème " Cybernétique, philosophie et société ". R. Thiel indique dans son rapport que cette réunion a rassemblé plus de 30 scientifiques d’horizons différents, marquant une " rupture " dans l’histoire de la cybernétique en RDA. Le premier livre est-allemand sur la cybernétique qui fait date sort en cette même année 1961; il s’agit de La cybernétique d’un point de vue philosophique, de... Georg Klaus. Après deux ans passés à la direction du groupe de travail de philosophie à l’Académie des Sciences, Klaus était de plus devenu cette année là membre ordinaire de l’Académie. Il entend montrer dans son livre que non seulement la cybernétique est compatible avec le matérialisme dialectique mais encore que celle-ci en confirme la validité. Un article paru le 15 octobre 1960 dans Neues Deutschland (LE quotidien du parti) avec comme titre non polémique " boucles de contrôle et organismes ", comportait déjà une section intitulée " confirmation du matérialisme dialectique ". Il prenait cependant soin d’intituler une autre section de l’article " les robots ne peuvent pas penser dialectiquement ". La cybernétique sert la philosophie mais ne saurait en aucun cas s’y substituer. On assiste là à un phénomène de réappropriation de la cybernétique par la philosophie marxiste dont l’ampleur mérite sans doute le résumé suivant :
A grand renfort de citations ‘politiquement correctes’ (dirait-on aujourd’hui), Klaus montre d’abord que l’idée de régulation est profondément ancrée dans le matérialisme dialectique. Ainsi dans L’idéologie allemande (1846), Marx et Engels appellent le prolétariat à s’approprier les moyens de production et parvenir ainsi à une " auto-commande " [Selbsbetätigung]. Il finit par proposer une série d’équivalence : entre la boucle de contrôle et l’unité dialectique, le rétrocontrôle et le rapport dialectique entre cause et effet ou encore entre l’information et les rapports particuliers qui unissent matière et conscience. Il distingue par ailleurs quatre aspects dans la cybernétique : réglages, systèmes, information et théorie des jeux, n’hésitant d’ailleurs pas à montrer que ce dernier aspect permet de modéliser la lutte des classes.
D’un point de vue méthodique, la cybernétique étend et approfondi le matérialisme dialectique grâce à la méthode de la boîte noire, à l’analogie cybernétique (" imitation mathématique de la contradiction dialectique ") et à la méthode " error-and-trial ". La cybernétique et le marxisme-léninisme finissent par être si étroitement reliés que l’idée apparaît selon laquelle le cybernéticien " bourgeois ", tel M. Jourdain, développe le matérialisme dialectique sans le savoir.
Le marxisme théorique se retrouve enrichi de ces nouveaux écrits. Un livre entier sera ainsi consacré en 1969 par un marxiste d’Allemagne de l’Ouest à la théorie du reflet chez Marx dans ses rapports avec la cybernétique. A la place de l’opposition classique entre matière et énergie, Klaus introduit les concepts de fonction et structure. C’est dans ce cadre qu’il propose une interprétation cybernétique et assez progressiste du centralisme démocratique dans laquelle non seulement il remet implicitement en cause le rôle directeur du Parti [führende Rolle der Partei], mais encore il assimile le Parti à un système doué des facultés d’apprentissage [lernendes System].
En ce qui concerne la question liée au déterminisme ou à l’indéterminisme, la cybernétique apporte également un nouveau point de vue. La cybernétique montre que malgré le " bruit " et les perturbations extérieures, les boucles de contrôle assurent la stabilité du système et par conséquent la conception déterministe sous-jacente dans le matérialisme dialectique se trouve renforcée. Encore en 1976, une thèse est consacrée à l'œuvre de Klaus sur le thème : Dialectique et Cybernétique en RDA.
Ces recherches théoriques axées sur l’interprétation cybernétique du marxisme autant que sur une lecture marxiste de la cybernétique ont suscité quelques controverses dont on ne retrouve pas la trace dans les sources imprimées, à la fois dans le camp des " cybernéticiens " et du côté des représentants dogmatiques des sciences humaines. Connus sous le nom de " Gewis " (pour Gesellschaftswissenschaftler), ces derniers font souvent partie de ces philosophes ou autres qui ont pu bénéficier après-guerre de places importantes dans différentes institutions officielles alors que leur niveau de formation avait souffert de la guerre, bénéficiant dans ces années de guerre froide du slogan " là où nous ne sommes pas présents, l’ennemi parle à notre place ". Il semblerait ainsi que les " Gewis " aient pu noyauter l’école du Parti pour y défendre une conception assez dogmatique, pour ne pas dire stalinienne, du marxisme. Dans le rapport de R. Thiel précédemment évoqué (au sujet de la " consultation " organisée par la revue Einheit), celui-ci se plaignait déjà des " conceptions dogmatiques de plusieurs représentants des sciences humaines ainsi que des rédactions de quelques revues qui avaient gêné [leur] initiative (...) " et portaient la responsabilité du " retard de la RDA " dans ce domaine.
Du côté des philosophes ou des scientifiques, il y eut aussi des critiques assez fortes mais le charisme de Klaus, titulaire du Prix National de la science, rescapé des camps de la mort, ne permettait pas à ces critiques d’accéder aux revues. Klaus Fuchs-Kittowski (né en 1934) a ainsi écrit une recension pour la Deutsche Zeitschrift für Philosophie du livre de Klaus (Kybernetik in philosophischer Sicht) qui n’a pas été publiée, dans laquelle il lui reprochait un certain dogmatisme dans son introduction de la cybernétique, déjà lisible dans le titre de la recension : " Une contribution au dépassement du dogmatisme dans la philosophie ", dans laquelle il s’en prenait également aux " Gewis ". Il est fort probable que la cybernétique, telle qu’elle était présentée par Klaus, finissait par avoir trop de pouvoir, notamment en ce qui concerne la légitimation de certains domaines des sciences humaines comme la psychologie encore mal implantée en RDA. Selon une conception relativement scientiste, la cybernétique a par exemple permis de définir en psychologie (ou plutôt " psychologie marxiste ") les notions comme celle de productivité du travail.
Nous énumérions au début de cette partie cinq types d’explications dans l’acceptation progressive de la cybernétique. Après l’influence des prises de positions politiques et le rôle de Klaus, la littérature étrangère introduite en RDA mérite également d’être brièvement recensée. En dehors de Norbert Wiener dont la deuxième édition de The Human Use of Human Being semble appréciée, le britannique W. Ross Ashby bénéficie également des faveurs des scientifiques est-allemands. On retrouve ainsi souvent les notions d’homéostat ou de multistabilité définies dans Design for a Brain (1952) et An Introduction to Cybernetics (1956). De même le livre de Léon Brillouin, Science and Information Theory (traduit en russe en 1960), fournit des références aux côtés d’autres écrits allemands, cette fois-ci de République Fédérale : Küpfmüller [54], Neidhart [57], Zemanek (autrichien) [59] et surtout K. Steinbuch [61], dont plusieurs témoins relatent aujourd’hui l’importance.
Sur le plan international, le relatif isolement dans lequel entre la RDA suite à la construction du Mur (13.8.1961, Abgrenzungsperiode) a également des conséquences. Ainsi dans le journal de l’université de Dresde, le directeur de l’institut pour les techniques de régulations, H. Kindler, appelle les scientifiques de différentes disciplines à s’unir autour des théories cybernétiques tout comme les partis politiques avaient pu le faire lors de la création de la RDA avec le Nationale Front. Cette métaphore politique est pour nous d’autant plus significative qu’il y a bien à travers l’expansion de la cybernétique une volonté de retrouver une certaine unité du savoir, telle qu’on peut se la représenter au XVIIème siècle.
De plus, une fois que la RDA est isolée, la raison d’être des fameux " Gewis " n’est plus et ils perdent sous Ulbricht de leur importance. Enfin, il faut encore préciser que la cybernétique bénéficie au début des années 60 de progrès techniques importants, donnant par exemple lieu à des néologismes comme Bionik pour décrire la construction des robots calquée sur le fonctionnement des êtres vivants. Dans le domaine du calcul automatisé, cette période correspond à l’essor de la production nationale : en plus du VEB Carl Zeiss de Iéna, l’université technique de Dresde se mettait aussi à produire des calculateurs. Depuis le D1 de 1956 (" D " pour Dresde -D2 en 1957), on en était arrivé à une collaboration qui avait permis la réalisation du Zeiss Rechenautomat (ZRA1 : 500 opérations /s., le 30ème et dernier exemplaire a ainsi été installé à l’Université Humboldt sous la responsabilité de K. Fuchs-Kittowski). Le physicien N.J. Lehmann, emmené par les Soviétiques avec Manfred von Ardenne était quant à lui revenu en 1958 et s’intéressait à la cybernétique dans le cadre de la conception des " automates à calculer ".
Tout ceci concourt à l’institutionnalisation de la cybernétique en RDA, en 1961. En février Klaus obtient du secrétaire général de l’Académie des Sciences, G. Rienäcker, la direction d’une " commission pour la cybernétique ". C’est Rainer Thiel, alors en thèse avec Klaus, qui est secrétaire de la commission, avant que H. Liebscher ne le remplace. L’analyse des archives qui s’y rapporte montre que les physiciens, tout comme les biologistes et l’administration de l’Académie restent plutôt hostiles à la cybernétique. Lorsqu’en 1962 une " section " pour la cybernétique est créée, sur la base d’un mémoire écrit par Klaus, celui-ci, conscient du fait que cette section sera mieux acceptée si un mathématicien de renom lui prête son nom, demande au mathématicien Kurt Schröder de bien vouloir en assurer la présidence. Toutefois, la section pour la cybernétique reste paradoxalement assez isolée et on ne trouve que très peu de contacts avec l’Institut pour les techniques de régulation avant la création de " l’Institut central pour la cybernétique et les processus informationnels " en 1968.
Avant cette date, la section pour la cybernétique a surtout servi à soutenir l’organisation de plusieurs conférences, après celle organisée par la revue Einheit en avril 1961 :
Janvier 1962 : " Psychologie et Cybernétique " à l’université Friedrich-Schiller de Iéna.
Mars 1962 : " Aspects et méthodes cybernétiques en Economie " organisée principalement par l’Institut pour les Sciences économiques de l’Académie.
Mars 1962 : " Problèmes physiques, techniques et mathématiques de la cybernétique ", Institut pour les mathématiques appliquées et la mécanique de l’Académie. On y compte plus de 600 participants (quatre jours).
Octobre 1962 : " Biologie, Médecine et cybernétique " à l’institut de physiologie de l’Université Karl Marx de Leipzig
et enfin en ce même mois d’octobre 1962 la première grande conférence consacrée à tous les aspects de la cybernétique : " La cybernétique dans les sciences, la technique et l’économie de la RDA "
Comme le note aujourd’hui avec regrets H. Liebscher : " nous ne nous doutions vraiment pas à l’époque qu’il allait s’agir de la première et dernière conférence de ce type. "... Quel a donc été le développement de la cybernétique après cette période ?
4. Enthousiasme, " perversion " et " normalisation " (1963-1969)
Il est difficile d’avoir une vue schématique d’ensemble sur le développement du " point de vue cybernétique " ([kybernetische Denkweise]). Peut-être est-ce le recul nécessaire de l’historien qui fait défaut, les témoins de l’époque ayant aujourd’hui des opinions divergentes parfois bien éloignées de ce que les documents d’archives peuvent laisser présager ; mais il apparaît que plusieurs courants se font jour en même temps sans qu’il y ait de véritable domination. La conférence d’octobre 1962, à laquelle participaient également des tchécoslovaques et des hongrois, marque sûrement un tournant décisif, " en tant que fin d’une première phase de développement de la cybernétique ", écrit H. Liebscher. De plus, la parution des actes correspondants, en même temps que le 6ème Congrès du Parti, oblige les différents acteurs à modifier quelque peu leurs positions. Pour rendre compte de ces diverses évolutions, nous avons fait le choix d’un exposé assez chronologique, évitant ainsi - en ne présentant qu’un premier matériau pour d’éventuelles recherches à venir - de simplifier par nos catégories une évolution dont la complexité historique fait partie intégrante.
Janvier 1963. Walter Ulbricht est à la tribune du sixième Congrès et s’exclame : " La cybernétique est particulièrement à promouvoir. " Klaus consacre alors un article entier à commenter cette déclaration, intitulé " La cybernétique, le programme du SED et le devoir du philosophe". Les cybernéticiens semblent avoir le vent en poupe. C’est dans ce cadre qu’une grande réforme de l’économie est lancée avec le " nouveau système économique pour la planification et la gestion économique ", mis au point par les nouveaux candidats du Politbüro, G. Mittag et E. Apel. Bien plus qu’un simple plan pour l’automatisation (thème qui figure dans le discours d’Ulbricht en référence explicite à la cybernétique), le NÖS se présente comme une solution à la crise de 1960/1961, marquée par la construction du mur. Abandonnant le plan septennal en cours pour un " plan perspectif " (1964-1970), les fonctionnaires du Parti appliquent les théories du soviétique Libermann mais aussi des théories de la régulation liées au mouvement cybernétique outre-Atlantique (comme la nouvelle théorie marginale de la valeur issue des travaux de Morgenstern). Ils s’appuient sur la prévision et l’équilibre de gestion des entreprises. Les pouvoirs de la commission de planification sont étendus et diversifiés : elle devient responsable tout à la fois du plan perspectif et du plan annuel. Mais la révolution la plus profonde est celle des prix industriels, calculés désormais en fonction des coûts de production et du taux de profit planifié. Notons encore ici que cette époque est marquée par une reconnaissance des recherches sociologiques, jusqu’ici plus que mal vues.
Dans un article daté de 1993, R. Thiel revient sur cette période d’espoir pour les cybernéticiens et rappelle les visées réformistes de Klaus dans le domaine économique : " Georg Klaus (...) voulait rendre l’économie plus flexible. Avec Marx." L’implication de la cybernétique dans le NÖS allait toutefois la rendre plus que jamais dépendante des aléas politiques.
En 1964 le but de l’économie est-allemande semble être, à en lire ce qu’écrit encore Ulbricht, de parvenir à une " autorégulation ". H. Liebscher commence une série de sept émissions radiophoniques sur le la " pensée cybernétique ", alors officiellement acceptée. Une certaine euphorie s’empare presque de certains scientifiques, proche parfois de l’exubérance. A titre d’exemple on peut citer cet extrait d’une publication faite en 1965 par Klaus (déjà gravement malade depuis trois ans) et Gerda Schnauß, principalement consacrée à combattre les méfaits du bureaucratisme défini comme " collecte, transmission, traitement et enregistrement d’informations " (on retrouve ici l’importance des généralisations de la théorie de l'information) et souffrant, contrairement à la cybernétique, d’un manque d’adaptabilité. Partant du théorème d’échantillonage de Shannon, nos deux auteurs écrivent après avoir donné la formule correspondante :
" Le directeur du VVB [Union des entreprises du peuple] doit alors d’abord savoir quelles sont pour lui les fréquences de la fonction de signal dont il s’agit effectivement. Leur largeur de bande se laisse déterminer et la question se pose alors de savoir avec quels écarts de temps il convient de contrôler, ordonner etc. " Si cette théorie n’est pas appliquée on risque soit d’y perdre en qualité (notion introduite à cette époque), soit de nécessiter un " travail administratif superflu ". Ainsi alors que la portée prédictive de la cybernétique était intégré au niveau macro-économique dans les " Prognosen ", la théorie cybernétique semblait pouvoir s’appliquer également à la gestion des entreprises.
Le court traité de H. Liebscher sorti en 1966, La cybernétique et les activités de direction, reçut un écho important, dont témoigne sa diffusion à vingt mille exemplaires. Dans la société cybernétique idéale, il ne s’agit plus de " diriger " comme en pays capitaliste ni même de " contrôler " comme le veut l’économie socialiste, mais seulement de " réguler " pour accéder au communisme. Deux ans auparavant, dans un article consacré au rôle de Wiener dans le développement de la cybernétique, l’auteur avait déjà fait remarquer qu’alors que " l’anarchie de la production " en régime capitaliste gênait l’application des principes cybernétiques, ceux-ci trouvaient dans l’économie socialiste un terreau fertile.
En avril 1967, au 7ème Congrès du Parti, Ulbricht se fait plus explicite encore et annonce cette fois-ci : " Et si la cybernétique aide, alors nous nous attellerons minutieusement à cette nouvelle science jusqu'à ce que nous la maîtrisions complètement. " Selon R. Thiel, c’est à partir de ce moment que les " Gewis " (Gesellschaftswissenschaftler évoqués p. 15) se sentent obligés de simuler au moins un certain intérêt pour la cause cybernétique. Un professeur de philosophie de la Technische Hochschule Ilmenau, Klaus-Dieter Wüstneck, est " élu " " Kandidat " du Comité Central afin d’y propager la bonne parole. Ce poste lui donne accès à tous les media et l’introduit rapidement dans le cercle des cybernéticiens. Il participe activement à la poursuite de l’institutionnalisation de la cybernétique. Il est nommé directeur de la commission " cybernétique " au Secrétariat d’Etat pour l’enseignement technique et supérieur (Hoch- und Fachschulwesen), chargé d’introduire des programmes d’enseignement de la cybernétique. Aux dires du principal intéressé, non seulement les propositions de cette commission ne furent jamais appliquées, mais des centaines de jeunes formés à la cybernétique grâce à d’importants programmes d’échange avec l’URSS, rentrèrent en RDA sans le moindre espoir de pouvoir faire valoir leur formation. La cybernétique ne fut jamais véritablement enseignée et son sensible recul à partir de 1969 scella tristement le destin de ses apprentis cybernéticiens. Il est d’ailleurs amusant de noter ici que ce n’est à notre connaissance qu’à l’Ecole du Parti que la cybernétique fit parfois l’objet de cours. Des commissions ad hoc furent aussi crées au moment du 7ème Congrès, au Ministère pour la Science et la Technique ainsi qu’au Conseil de la Recherche [Forschungsrat]. Cette dernière institution est apparemment la seule à avoir œuvré réellement pour la cybernétique. Wüstneck faisait partie de ces commissions officielles mais aussi d’un " groupe de travail stratégique secret sur la cybernétique " [strategischer Arbeitsgruppe Kybernetik], directement sous le contrôle d’Ulbricht. Maintenant très critique quant à cette institutionnalisation, Thiel qualifie aujourd’hui ce groupe de " farce ".
Cette période est en effet toujours marquée par la coexistence de travaux de valeur comme le livre de Klaus et Liebscher, Qu’est-ce que la cybernétique et que doit-elle être ?, paru en 1966 et qui sera publié avec neuf éditions à 100 000 exemplaires (entre autres sous licence en République Fédérale en 1970), La théorie des jeux d’un point de vue philosophique de Klaus deux ans plus tard, à côté de livres qui ne connaîtront pas la même postérité comme La cybernétique dans le combat contre la criminalité, traduction de quelques articles soviétiques sur ce thème. Au niveau local, si les élites entendaient parler de cybernétique, les directeurs d’entreprises ou autres responsables de brigades n’ont jamais pu appliquer ces théories.
Par ailleurs, le livre de Klaus sur la théorie des jeux fut l’objet d’une nouvelle série de critiques de la part de philosophes dogmatiques qui lui reprochaient ses références à des " ennemis de classe prolétaire " comme J. von Neumann, O. Morgenstern ou E. Lasker. Ces nouvelles attaques implicitement dirigées contre la cybernétique (la théorie des jeux étant selon Klaus un des quatre aspects de la cybernétique avec la théorie de l'information, des régulations et des systèmes) sont aussi sans doute liées au Printemps de Prague au cours duquel, dans de nombreux pays, des intellectuels furent accusés de " révisionnisme ". C’est par un article dans Neues Deutschland, le 30 avril 1969, que Liebscher est personnellement mis en cause. Son détracteur, Kurt Hager, célèbre idéologue du Parti, se rapporte de surcroît aux discussions de la veille, lors du 10ème Plenum du Comité Central du Parti, où un article publié par Liebscher dans Spektrum avait été critiqué. Il devait d’ailleurs s’agir d’autre chose qu’une simple " critique " puisque le rédacteur en chef de la revue fut par exemple immédiatement suspendu de ses fonctions. En quelques mots disons que c’est surtout une éventuelle remise en cause du rôle directeur du Parti qui panique le Comité Central.
Si la réunion d’avril 1969 marque un virage anti cybernétique très clair, la prise de pouvoir alors officielle d’Honecker avec le 8ème Congrès deux ans plus tard ne laisse plus d’espoir à la cybernétique : le nouveau secrétaire général annonce fièrement : " Il est maintenant enfin établi que la cybernétique et la recherche systémique ne sont que des pseudo-sciences. " Toutefois, là encore la situation est plus complexe qu’elle n’en a l’air. Si on peut presque considérer l’avant-propos de Klaus à la troisième édition de son livre Kybernetik und Gesellschaft comme une autocritique, il n’en continue pas moins de publier sur la cybernétique mais dans des collections comme " critique de l’idéologie bourgeoise " où paraît en 1973 Cybernétique, science universelle ?
L’abandon du nouveau système économique cause bien sûr du tort à la cybernétique dont elle constituait pour ainsi dire les fondements scientifiques. A partir des années 70 on ne parle plus de cybernétique mais de micro-électronique ou d’informatique. Il semblerait curieusement que ce ne soit qu’en économie que la cybernétique ait pu conserver son droit de cité, la dernière conférence sur la cybernétique en économie ayant eu lieu en 1985. Pour le reste, la cybernétique semble avoir représenté trop de remises en cause pour le régime.
Premières conclusions et ouvertures
Que tirer de l’analyse de ces rapports pour le moins " dialectiques " entre cybernétique et matérialisme dialectique ? Nous choisissons ici d’évoquer trois thèmes différents qui devront être abordés de façon plus approfondie dans un travail d’une plus grande ampleur : une remarque d’épistémologie ou sociologie des sciences d’abord, sur la façon dont se clôt une controverse ; une analyse ensuite, à partir d’une étude sur les représentations graphiques, du rôle particulier joué par la notion scientifique d’information dans la volonté de parvenir avec la cybernétique à une certaine unité du savoir ; et enfin un thème emprunté à l’histoire politique sur l’importance des courants réformateurs parmi les cybernéticiens.
L’ensemble de cette étude n’est que l’analyse d’une controverse autour de la validité des théories cybernétiques. Au départ, lorsque la cybernétique est marquée du sceau de " science bourgeoise ", la controverse est reléguée dans des modes de discours officieux, aujourd’hui seulement accessibles par les techniques de l’histoire orale. Les documents d’archives, profondément marqués par leur mode et leur contexte de production, peuvent biaiser l’interprétation qu’en fait l’historien. Ce n’est que grâce aux entretiens qu’il devient possible de comprendre comment telle ou telle lettre, apparemment banale peut avoir une répercussion importante, par exemple, sur l’institutionnalisation de la cybernétique. D’un autre côté, les témoins parlent après la résolution des tensions liées à la controverse, même si cette histoire comporte, comme nous le verrons, une dimension d’actualité. Régulièrement, le pouvoir politique intervient pour tenter de clore la controverse. Ceci est surtout visible dans les formes bien établies du discours que constituent ceux qui sont prononcés aux différents Congrès : le 6ème et le 7ème pour clore celle-ci en faveur de la cybernétique, avec constitution même d’une histoire officielle créditant la cybernétique des progrès de l’aéronautique ou de l’informatique ; et le suivant pour classer définitivement la cybernétique parmi les pseudo-sciences (" Il est maintenant enfin établi que... " disait Honecker). On est de plus en présence d’un rapport souvent inversé entre les sources disponibles et les points de vue représentés : lors de l’établissement progressif de la cybernétique, avant son acceptation officielle, on ne retrouve que les positions anti-cybernétiques du Parti, ensuite dans l’ère Ulbricht, on trouve peu de traces des " Gewis " qui y étaient hostiles. Aujourd’hui, alors que la cybernétique a été plus ou moins rejetée par Honecker, les témoins que nous avons rencontrés étaient tous, à un degré ou un autre, des cybernéticiens se présentant en victimes.
Si nous avons déjà pu tenter de montrer comment la cybernétique participe d’une tentative d’unification de plusieurs disciplines autour du noyau dur qui la sous-tend, il est parmi les différentes représentations construites par la cybernétique (théories, discours ou pratiques éventuellement non discursives) un type particulier de représentation qui montre clairement ce mouvement d’unification. Il s’agit des représentations graphiques.
Regardons d’abord la place de ces représentations en économie. Aux Etats-Unis, par exemple, on peut trouver dès 1952 tout le schéma macro-économique keynésien symbolisé en des termes cybernétiques, avec une modélisation de tous les phénomènes de régulation fermée (annexe 2.1). Dans cette application du " point de vue cybernétique ", celle-ci acquiert d’ailleurs également un pouvoir de légitimation si l’on songe à l’impression du lecteur face à une représentation " scientifique " d’un modèle économique. Le système est présenté à l’aide d’une " machine de papier ", c’est-à-dire un processus que l’on peut faire fonctionner par la pensée et qui permet, si l’on suit les différents coefficients placés à côtés des flèches, d’obtenir le résultat de calculs qui seraient autrement plus complexes à mener. Or on peut être surpris de retrouver le même type de machine de papier et bien sûr de représentation pour la modélisation du schéma d’une économie centrale planifiée. Ce schéma figure dans une illustration du livre du polonais H. Greniewski qui connut une diffusion internationale impressionnante, à l’Est comme à l’Ouest, La cybernétique sans mathématiques (annexe 2.2). La représentation graphique est en effet un moyen de rendre très facilement accessible - de façon immédiate, car visuelle et sans nécessiter de connaissances préalables en mathématiques - la structure même d’une modélisation. Cette modélisation, rendue possible par le cœur même de la théorie cybernétique, avec l’utilisation des notions de rétrocontrôle et de boucles informationnelles, participe à un désir d’unité du savoir. De nouvelles méthodes de représentations comme celle de l’ordinogramme (Blockschaltbild) ou l’analyse entrée/sortie par diagramme de flux (Verflechtungsbilanzierung) connaissent dans ce cadre une grande diffusion.
Ce type de modélisation, marquée par un certain design se retrouve dans des disciplines très variées. On dispose du même type de représentation graphique pour la régulation de la glycémie ou le fonctionnement des réflexes, en physiologie, ou pour le fonctionnement de l’administration est-allemande. Pour ce dernier exemple on trouve d’ailleurs dans une publication de H. Metzler une représentation très épurée des différents niveaux de direction avec leur " blocs d’information " correspondants (annexe 2.3). La rigidité de la forme pyramidale est ici atténuée par un dense réseau de flèches ramenant l’information à tous les niveaux. Le mode de représentation cybernétique se retrouve d’ailleurs également dans l’édition pour la jeunesse, spécialité de nombreux pays de l’est. Une Petite encyclopédie de la grande cybernétique, pour lecteurs à partir de 13 ans et traduite du Russe, mêle ainsi habilement enseignement de la cybernétique et du matérialisme dialectique (annexe 2.4).
Dans tous ces exemples, la cybernétique est utilisée pour présenter sous de mêmes aspects différentes représentations issues de domaines variés. Ce qui circule selon les flèches figurant sur ces schémas n’est pas autre chose que de l’information. Or le problème est demeuré entier de pouvoir rendre compte de la dimension sémantique de l’information. L’information est une notion qui devient indépendante des conditions de productions ou autres contingences sociales. Or, on peut mettre en relation le fait que la majorité des défenseurs de la cybernétique en RDA aient été des réformateurs ou se soient exprimés de façon implicitement critique. Ainsi, quel sens attribuer à la présence d’un Robert Havemann, dissident notoire à partir de 1963, lors de la première manifestation cybernétique est-allemande, la " wissenschaftliche Beratung " organisée par la revue Einheit deux ans plus tôt ? Actuellement nous ne pouvons trancher de façon formelle. De plus, aujourd’hui, beaucoup des témoins interrogés se définissent volontiers comme ayant été toujours critiques face au Parti ou à la Stasi mais l’époque actuelle favorise grandement ce type de positions. La remise en cause du rôle dirigeant du Parti et la revendication d’une structure plus souple, à l’écoute de la base, dans le modèle de planification et de décision constituent cependant à n’en pas douter une volonté de vouloir réformer le pays, sans pour autant abandonner le marxisme. En ce qui concerne l’économie, la citation de Thiel mérite d’être rappelée : " Georg Klaus (...) voulait rendre l’économie plus flexible. Avec Marx. " Notons ici que la parution de cet article de Thiel dans Neues Deutschland, en 1993 a suscité une vive polémique dans la rédaction du journal, quant à la thèse selon laquelle la RDA aurait pu être " sauvée " grâce à la cybernétique.
Aujourd’hui on reparle de la notion d’information dans les cercles du PDS, Parti du socialisme démocratique, " successeur hérétique du SED ". Si le terme cybernétique ne revient plus dans les débats avec la même constance qu’autrefois, des commissions se créent pour analyser les effets de la " cybersociété " sur les possibilités d’expression démocratiques, les formes de syndicalisme à inventer face au télétravail, les possibilités de mobilisation des citoyens grâce au Web (sous domaine des déjà fameuses " autoroutes de l’information ") etc.
Ainsi, les rapports entre théories cybernétiques et organisation de la société continuent d’être l’objet de discussions passionnées. Gageons alors que si l’histoire de la RDA a pu se lire en grande partie à travers l’étude de son rapport à ces théories, une attention particulière portée à ces discussions actuelles pourra être à son tour riche d’enseignements sur la société allemande.
: courte biographie de Georg Klaus (28.12.1912 - 29.7.1974)
(Nous nous reportons à Liebscher [82] pp. 13-21 ainsi qu’aux divers entretiens avec les témoins de l’époque)
Né à Nuremberg le 28 décembre 1912 d’un père cheminot et d’une mère femme de ménage, il fait partie, grâce à des résultats exceptionnels, des rares écoliers à pouvoir accéder au lycée. Dès 1929 il sympathise avec le KPD et boucle ses études secondaires avec mention très bien dans neuf des douze disciplines. En 1932 il s’inscrit à la faculté de mathématiques de l’Université d’Erlangen mais se voit arrêté au bout de trois semestres pour motifs politiques : il dirigeait la section du parti communiste de Bavière du nord, alors clandestin. Il est d’abord condamné à deux ans de prison dans le camp de concentration de Dachau mais reste pendant tout ce temps en détention préventive dans une prison proche de Munich. C’est là que pour résister intellectuellement, il commence à jouer seul aux échecs. Sa peine arrivant à échéance, on lui inflige une peine de sûreté supplémentaire de trois ans et il est effectivement déporté à Dachau continuant, de tête, à jouer aux échecs.
En l’honneur de l’anniversaire du Führer, il est libéré le 20 avril 1939 mais les études sont pour cet éventuel étudiant communiste interdites par la loi. Il travaille trois ans dans l’industrie du crayon (Faber Castell puis Schwan). Il est enrôlé dans la Wehrmacht le 13 octobre 1942 et se retrouve sur le front russe en mars 1943 où il est gravement blessé trois mois plus tard. Il finira la guerre par six mois de prison en Belgique, sous contrôle allié, avant de retourner dans sa ville natale. Là, il reprend des responsabilités dans le parti communiste et se fait remarquer par la qualité de quelques discours qu’il prononce, préparant par exemple la fusion du KPD et du SPD. Il commence à donner des cours à l’université populaire sur " le marxisme en tant que vision du monde " mais aussi sur " la bombe atomique comme problème physique et social ", avant d’enseigner officiellement à l’Ecole du Parti et de poursuivre enfin ses études, cette fois-ci à l’Université de Iéna. Il soutient sa thèse dans la faculté des sciences de l’éducation, obtenant le titre de Dr. päd, après des cours aussi variés que celui sur la théorie de la chaleur ou sur l’épistémologie de Lénine.
Il commence à enseigner à l’Université d’Iéna en tant que chargé de cours pour le matérialisme dialectique et historique puis obtient une chaire de professeur en 1952 dans le département des sciences de la société. Il est nommé professeur de " logique et théorie de la connaissance " à l’Université Humboldt de Berlin en 1953 et cumule avec le poste de vice-recteur qui lui prend un temps considérable. Il publie son premier livre en 1957, Les Jésuites, Dieu et la Matière, lorsqu’il quitte ces dernières fonctions. A partir de cette époque il s’intéresse comme nous l’avons vu à la cybernétique, mais aussi à la sémiotique et la logique. En 1959 il dirige le groupe de travail pour la philosophie à l’Académie des sciences dont il sera membre deux ans plus tard. A partir de 1962, un problème de santé issu de sa déportation devient son souci quotidien mais il continue pendant douze ans à produire articles et livres, finissant ses dernières publications sur son lit de mort au dictaphone. Au total il a écrit plus de 250 publications dont une vingtaine de livres.
: Représentations graphiques
2.1 : Modélisation cybernétique du schéma keynésien
2.2 : Modélisation cybernétique d’une économie planifiée
2.3 : Information et " direction "
2.4 " Petite encyclopédie de la grande cybernétique "
2.1 : Modélisation cybernétique du schéma keynésien
A. Tustin, " Feedback ", Scientific American, 186, sept. 1952, pp. 48-55, ici p. 55
2.2 : Modélisation cybernétique d’une économie planifiée
H. GRENIEWSKI, Cybernetics without mathematics, Pergamon Press, Warszawa, 1960 (1966 en RDA, 1965 en France chez Gauthiers-Villars) (ici pp. 196-7)
2.3 : Information et " direction "
H. METZLER, "Information und Leitung", Deutsche Zeitschrift für Philosophie, Sonderheft 1965, pp. 239-46, (ici p. 243)
2.4 " Petite encyclopédie de la grande cybernétique "
V. Pekelis, Kleine Enzyklopädie von der großen Kybernetik, Kinderbuchverlag, Berlin, 1977
: Bibliographie et autres sources
Nous avons séparé la bibliographie en trois groupes, séparant les écrits de Klaus et les autres publications en RDA du reste des sources.
Ecrits de Georg Klaus ayant trait à la cybernétique
G. KLAUS, "Das elektrische Gehirn", Die Neue Gesellschaft, 4, 1951, Heft 10, S. 779-82
G. KLAUS, "Elektronengehirn gegen Menschengehirn? Über die philosophischen und gesellschaftlichen Probleme der Kybernetik", in Schriftenreihe der Gesellschaft zur Verbreitung wissenschaftlicher Kenntnisse, Reihe D : Gesellschaftswissenschaften, Leipzig, Jena, 1957, p. 3-29 (réédité dans Liebscher [78])
G. KLAUS, "Zu einigen Problemen der Kybernetik", Einheit, 13, Juli 1958, S. 1026-40
G. KLAUS, "Das Verhältnis von Kausalität und Teleologie in kybernetischer Sicht", Deutsche Zeitschrift für Philosophie, 8, 1960a, S. 1266-79
G. KLAUS, "Maschinen-Automaten-Kybernetik", Wissenschaft und Fortschritt, 10,1960b, Heft 9 S. 321-4
G. KLAUS, "Kybernetik-Automation-Charakter der Arbeit", Wissenschaft und Fortschritt, 10,1960c, Heft 10 S. 363-8
G. KLAUS, "Erlebte Schachnovelle", in Schwarz u. Weiss, heitere u. ernste Begegnungen mit dem königlichen Spiel, A. Karau & W. Renner (Eds.), Berlin, 1960d, S. 164-182
G. KLAUS, "Regelkreise und Organismen", Neues Deutschland, 15,1960e, (15. Okt.)
G. KLAUS, Kybernetik in philosophischer Sicht, Dietz Verlag Berlin, 1961a (4ème édition 1965)
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G. KLAUS, "Rezension : H. Frank, Kybernetische Grundlagen der Kybernetik", Deutsche Zeitschrift für Philosophie, 12, 1964, S. 1529-34
G. KLAUS, "Zur erkenntnistheoretischen Bedeutung der Neurokybernetik", Deutsche Zeitschrift für Philosophie, 13, 1965a, H. 3, S. 357-361
G. KLAUS, "Emmanuel Lasker - ein philosophischer Vorläufer der Spieltheorie", Deutsche Zeitschrift für Philosophie, 13, 1965b, H. 7 S. 976-88
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G. KLAUS et R.THIEL, "Über die Existenz kybernetischer Systeme in der Gesellschaft", Deutsche Zeitschrift für Philosophie, 10, 1962, Heft 1, S. 22-57
G. KLAUS & H. LIEBSCHER, Was ist, Was soll Kybernetik ?, Urania Verlag, Berlin, 1966 (9ème Ed. 1974)
G. KLAUS & H. LIEBSCHER, Systeme Informationen Strategien, VEB Verlag Technik, Berlin, 1974
G. KLAUS & H. SCHULZE, Sinn, Gesetz und Fortschritt in der Geschichte, Dietz Verlag, Berlin, 1967
G. KLAUS & G. SCHNAUSS, "Kybernetik und sozialistische Leitung", Einheit, 20, 1965, S. 93-104 (Heft 3)
Autres écrits sur la cybernétique parus en RDA
Les revues suivantes on été systématiquement dépouillées : Deustsche Zeitschrift für Philosophie (du tome 1, 1953 au tome 15, 1967), Einheit (de 2, 1947 à 26, 1971), Neue Welt (7, 1952 - 9, 1954), Forum (9, 1953), Universitätszeitung TU-Dresden (1962-64), und Universitäts-Zeitung Jena (1950-51)
H. DRISCHEL, "Medizin, Biologie und Kybernetik", in Kybernetik in Wissenschaft, Technik und Wirtschaft der DDR, Akademie Verlag, Berlin, 1963, S. 154-184
H. FORTNER, "Louis Couffignal : Denkmaschinen", Deutsche Zeitschrift für Philosophie, 4, 1956, Heft 3, S. 371-5
K. FUCHS-KITTOWSKI, Probleme des Determinismus und der Kybernetik in der molekularen Biologie, Gustav Fisher Verlag, Jena, 1969 (2è. Ed. augmentée 1976)
K. HAGER, "Die entwickelte sozialistische Gesellschaft", Einheit, 26, 1971, Heft11, pp. 1203-42
M. JAROSCHEWSKI, "Die Kybernetik - eine neue ‘Wissenschaft’der Obskuranten", Neue Welt, 7, 1952, Heft10, pp. 1193-5
A.I. KHINCHIN, Mathematical Foundations of Information Theory, Dover Pub. Inc. , New York, 1957 (Ed. russe : 1953 et 1956, traduit en RDA en 1957)
H. KINDLER, "Mathematische und physikalisch-technische Probleme der Kybernetik", Universitätszeitung TU-Dresden, 1. Aprilnummer, 1962, p. 3, Reihe "Kybernetik, Wissenschaft der Zukunft"
E. Kolman, "Was ist Kybernetik", Forum, 9, 1955, Nr. 23 (wissenschaftliche Beilage)
E. Kolman, "Was ist Kybernetik", Sowjetwissenschaft - Naturwissenschaftliche Beiträge, 4, 1956, Heft 4, pp. 309-326
H. LIEBSCHER, "Zur Rolle Norbert Wieners bei der Herausbildung der Kybernetik", Deutsche Zeitschrift f. Philosophie, 12, 1964, Heft 6, pp. 661-7
H. LIEBSCHER, Kybernetik und Leitungstätigkeit, Dietz Verlag, Berlin, 1966
H. LIEBSCHER, "Kybernetik und gesellschaftliche Prozesse im Sozialismus", Spektrum, 1, 1969, pp. 7-9
H. LIEBSCHER (Ed.), Georg Klaus - zu philosophischen Problemen der Einzelwissenschaften, Akademie Verlag, Berlin, 1978
H. LIEBSCHER, Georg Klaus - zu philosophischen Problemen von Mathematik und Kybernetik, VEB Deutscher Verlag der Wissenschaften, Berlin, 1982
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Académie des Sciences de Berlin (Berlin-Brandenburgische Akademie der Wissenschaften)Bâtiment principal (Jägerstr. 22-23, D-10117 Berlin)
Bestand Akademieleitung Sektionnen - Sektion für Kybernetik 1962-1963 : Nr. 224
Wissenschaftliche Sekretariat des Präsidents : Nr. 6176 u. 177
Bestand Akademieleitung Kommission für Kybernetik : 1956-1967 : Nr. 345
Nachlaß Kurt Schröder : Kybernetik 1961-1962 : Nr. 138
Bestand Akademieleitung Forschung angewandte Mathematik 1959-1965 : Nr. 708
Bureau de Schöneweide (Schnellestr. 138, D-12439 Berlin)
Bestand Forschungsgemeinschaft : Institut für angewandte Mathematik : Nr. 194 u. 18
Büro des Vorsitzender der Forschungsgemeinschaft : Nr.A 3002
Konferenzen der Akademie der Wissenschaften, III Konferenz, Sofia 1964
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Stiftung Archiv der Parteien und Massenorganisationen der DDR (SAPMO) (Finckensteinallee 63, D-12175 Berlin)Büro Ulbricht : J IV 2... (par exemple ‘J IV 2/9.10/5’ pour les documents relatifs à la ‘Wissenschaftliche Beratung’ organisée par la revue Einheit)
SED Abteilung Wissenschaft : DY 30 / IV A2/...
Klaus Fuchs-Kittowski, témoin de l’époque qui connut bien Klaus et qui rédigea sa thèse en 1969 sur Les problèmes du déterminisme et de la cybernétique dans la biologie moléculaire. Deux heures le 23.10.1996 et trois heures avec Rainer Thiel le 13.11.1996
Günter Kröber, élève de Klaus. Une heure le 17.10.1996
Heinz Liebscher, un des deux assistants de Klaus. Une heure le 9.5.1997
Rainer Thiel, qui fait sa thèse avec Klaus et termine sa thèse en 1964 sur Les aspects cybernétiques de la société. Thiel était dès 1961 secrétaire de la commission cybernétique à l’Académie des Sciences. Trois heures avec Klaus Fuchs-Kittowski le 13.11.1996, deux heures le 4.12.1996 et une heure le 15.12.1996.
Klaus-Dieter Wüstneck, " Kandidat " du Comité Central, Membre du groupe de travail cybernétique au Forschungsrat der DDR et directeur de la commission pour la cybernétique au Wissenschaftsrat beim Ministerium für Hoch- und Fachschulwesen. Trois heures le 15.11.1996